En 2008, pour la première fois, Dominique Poulain, coordinatrice de l'association HÖFN, a suivi pendant quelques jours le festival LES BORÉALES, à Caen.
Elle y était à nouveau en 2027, et, à nouveau le Festival était alors spécialement dédié à l'islande...
Dominique Poulain vous raconte son séjour à Caen, entre le 19 et le 25 Novembre 2017...
"Alors… me voici à Caen, dans le cadre du festival Les Boréales… quelques 9 ans après ma première visite.
HÖFN alors n’existait pas, ou plus exactement son existence n’était encore que virtuelle (bien qu’officielle). Notre association fut créée en effet en 2007,
le lieu d’accueil de nos résidents durant l’été 2008, notre première résidente arrivait en mars 2009.
Comme aujourd’hui, en 2017, le Festival Les Boréales (qui met à l’honneur chaque année un pays nordique) était en 2008 tout particulièrement dédié à l’Islande.
Ironie du sort, si le Festival fut beau, riche en événements variés (expositions, films, concerts, rencontres avec des auteurs…),
doté d’une programmation judicieuse et palpitante, - voir sur notre site, à Actualités, tout à fait en bas de page, un résumé très succinct de ce moment – ,
l’Islande vivait alors des heures noires de son histoire récente… Après avoir vécu un essor économique et social tout à fait extraordinaire
(non sans aléas tout de même au fil du temps (la « guerre de la morue », le choc pétrolier dans les années 70... ),
et sans doute un essor plus apparent que réel (!), depuis son indépendance - l’Islande rompit tous ses liens avec le Danemark le 17 juin 1944 -
la population venait d’apprendre en octobre 2008 donc que le pays vivait une crise économique majeure et réclamait dans la rue,
semaine après semaine la destitution de son gouvernement (lire cet article)...
Rien de tel cette fois, ce novembre 2017! Quelques images vous donneront une idée de mes explorations et découvertes au hasard des rues de Caen..
J’ai un toit, très peu cher, et tout simple, sympathique, au coeur de la vieille ville… Les caennais et caennaises sont affables et causeurs, c'est certain... et très plaisant !
Il m’a fallu un peu de temps pour trouver le centre névralgique du festival. D’églises en églises (il y en a un nombre stupéfiant!),
d'églises en librairies (elles sont tout aussi nombreuses!), de librairies en églises"...
"... j'ai fini par tomber dessus.... Il s'agissait véritablement d'un lieu d'accueil du festival,
et on m’y a très bien reçue, avec thé ou café offerts, sous les voûtes de… l’Église St Sauveur…"
"... et j’ai pu là , dés le 21 préciser tous mes RV:
Le 22 au soir, je me rendrai, par le tramway à deux pas, à la Bibliothèque d’Hérouville (banlieue relativement proche du centre de Caen) pour y rencontrer mon vieil ami Sjón
qui présentera là son dernier livre traduit en français : Le garçon qui n’existait pas"...
A la bibliothèque D'Hérouville, (de gauche à droite): une bibliothéquaire, Eric Boury, Sjón, le médiateur, A parte entre Sjón et son traducteur, alors que petit à petit l'audience apprend de l'auteur ses méthodes de travail et la genèse du livre
lecteur PASSIONNÉ et enthousiaste du dernier livre traduit en français de Sjón: « Le garçon qui n’existait pas »". «Le garçon qui n’existait pas». Sjón nous explique qu'il collecte des myriades d'informations sur des sujets qui l'intéressent durant 10, 15 ans...
Ses précédents livres traduis en français (tous par Eric Boury) seront mentionnés au cours de cette présentation: sans savoir nécessairement s'il les utilisera un jour, ou non, directement, ou indirectement dans ses livres. En l'occurrence,
"Le moindre des mondes" (une perle, délicate et rare... selon moi!) "Sur la paupière de mon père", "De tes yeux, tu me vis"... pour ce qui concerne « Le garçon qui n’existait pas », tout débuta pour Sjón par une quête assidue de détails concernant
la vogue du spiritisme en Islande. Cela le conduisit à la grippe espagnole qui sévit en 1918 dans le pays
(après l'éruption du volcan Katla), ces personnages multiples qui apparaissent, bouillonnants de leur vie propre,
. pour être brutalement terrassés par la maladie. Et c'est bien finalement la grippe espagnole, prélude à un engouement
forcené pour le spiritisme - tant et tant de morts que les survivants voulaient coûte que coûte retrouver
- ces morts innombrables, qui constitueront finalement le terreau de ce roman... ...
... où nous comprenons aussi, à travers ce que nous précise Sjón (entre autres multiples informations, analyses, commentaires) que le mot homosexue n'existait alors même pas dans la langue islandaise (tant l'idée d'une telle "inversion" était insoutenable, inavouable, insupportable)...
Autre réflexion: selon Sjón (et la population décrite dans le livre dans ce contexte), la colonisation danoise n'était pas (plus?) vécue comme oppressive et indésirable, bien au contraire (c'est pour moi un tout nouvel éclairage dans la lecture de l'histoire islandaise)...
Il est aussi question , à la même période (années 1920/30), de l'engouement phénoménal (et salvateur pour le jeune "héros" du livre, Máni Steinn) de la population islandaise pour le cinéma (cinéma burlesque, cinéma d'aventures et de mystère(s): 2 salles à Reykjavik, et des films nouveaux tous les trois jours!!!!
Sur la photo de droite, Eric Boury (traducteur de Sjón) nous indique que la haute société islandaise ne frayait pas avec la populace dans les salles obscures, mais préférait les vaudevilles au théâtre...
Ragnar Helgi Olafsson arrive le mĂŞme soir (le 22 novembre) Ă Caen.
Deux livres de lui ont été récemment traduits en français par Jean-Christophe Salaün:
Lettres du Bouthan et La réunion du Conseil national de l’audiovisuel du 14 mars 1984 et son influence formatrice sur la sexualité de l’adolescent… et autres histoires (Rien de moins!).
Nous irons ensemble le 23 en fin d’après midi respirer l’air marin à La Villa Brugère,
une autre résidence qui accueille des artistes et des auteurs en résidence pour des séjours de création à Arromanches (sur la côte, au coeur de l’aire du Débarquement en Normandie le 6 juin 1944)…
J’y ai moi-même rendez-vous avec la présidente de cette structure associative, Marie Thérèse Champesme.
(J’ai reçu pour goupiller ce déplacement à Arromanches (à 30 kms de Caen) l’aide généreuse de tout une tas de personnes qui participent à divers échelons à l’organisation du Festival,
des bénévoles rencontrées à l’Église St Sauveur, le responsable de la librairie tout à côté (Brouillon de Culture), Marion Cazy et Chantal Carlier, l’accompagnatrice en titre de Ragnar !)...
Quand Ragnar Helgi Olafsson arrive ce soir-là , le 23 novembre, à Arromanches, un bourg au bord de la mer, théâtre du Débarquement en 1944 (devenu aujourd'hui une manne ... touristique!), il fait nuit noire.
Quelques lueurs visibles à l'horizon, celles d'une multitude de bateaux réunis aux mêmes heures durant quelques semaines pour la pêche à la coquille Saint Jacques (pêche très réglementée en France: 2 heures par jours entre octobre et décembre, secteur par secteur);
Marie Thérèse Champesme, responsable de l'association, qui vit l'année durant sur les lieux, a mis ce soir-là Ragnar à l'honneur: annonce de sa venue à l'entrée du jardin, et des cartes de l'Islande collées partout!
Marie -Thérèse Champesme commentera particulièrement une nouvelle : "le chemin le plus court", extraite du recueil
" La réunion du Conseil national de l’audiovisuel du 14 mars 1984 et son influence formatrice sur la sexualité de l’adolescent… et autres histoires»
(traduit en français par Jean-Christophe Salaün). Elle avouera nous avoir lu un extrait certes digne d'intérêt,
mais qui lui évitait d'avoir trop souvent à se confronter... à des noms islandais!...
Elle notera entre autres, plus sérieusement, la tendance très obsessionnelle, la préoccupation première : maîtriser les choses, appliquer des Règles -
d'un certain nombre de "personnages" tout au long de ce recueil et des nouvelles.
Ragnar admettra que cela lui permet d'exorciser ses propres démons, de se jouer de lui-même, de critiquer, l'humour aidant (très présent),
des aspects rigoristes outranciers chez des individus ou propres à la société dans son ensemble (en Islande ou ailleurs! ).
Il partagera avec nous sa propre stupéfaction (et inquiétude) quand il s'est rendu compte à quel point il maniait facilement et spontanément le discours et la terminologie administrative et juridique!
Il y eut un autre long moment de lecture par Marie -Thérèse Champesme (extrait cette fois des "Lettres du Bouthan").
"Pourquoi avoir imaginé envoyer ces lettres... du Bouthan?"
Réponse de Ragnar Helgi Olafsson: parce qu'il lui semblait (en tous cas pour des islandais) que le BOUTHAN représentait l'exotisme absolu .
(Ragnar n'y est personnellement jamais allé!).
Il prenait conscience aussi, après coup, une fois le livre traduit en français pour des français,
que cette notion d'exotisme fondamental liée pour lui au Bouthan, l'était tout autant pour nous français quand il est question... d'Islande!
(il faut savoir que dans ce livre construit sur un échange de lettres, l'aller-retour - fort irrégulier - se joue entre le Bouthan et l'Islande)...
La forme épistolaire, très consciemment choisie, lui a permis une liberté dont il rêvait:
par les mots manifestement effacés, les missives tronquées (sans que nous en comprenions précisément la raison: censure administrative/politique? Feuillets perdus?),
un espace d'imaginaire, de liberté POUR LE LECTEUR s'ouvre ainsi...
A NOUS de combler, ou non, les trous...
Le temps, l'usure, l'érosion, l'effacement des choses, la mémoire parsèment le livre...
... Où un nouvel aspect de cette rencontre se dessine: Ragnar Helgi Olafsson n'est pas seulement un écrivain; il est aussi un poète, un artiste plasticien, un éditeur....
Au fil de la présentation de quelques exemples de son travail d'artiste (et/ou d'éditeur),
Ragnar Helgi nous explique qu'il n'y a AUCUNE SÉPARATION à ses yeux entre son travail d'écrivain, d'artiste, d'éditeur.
Il passe d'une forme Ă l'autre, librement, presque sans y penser, parce que chacune correspond Ă ce qu'il a besoin, envie d'exprimer (ou de vivre) Ă ce moment-lĂ de sa vie.
Si le travail de l'écrivain est par nature solitaire, celui de l'artiste plasticien peut l'être tout autant.
Mais il peut aussi conduire à des collaborations multiples, des créations collectives, qui marquent aussi toute une part éloquente du travail de Ragnar.
On apprendra que la musique, AUSSI, fait partie intégrante de la vie, et de la vie artistique de Ragnar (elles-mêmes indissociables)...
La rencontre se terminera de façon joliment informelle et conviviale, autour d'un verre, juste après la présentation du travail de Ragnar Helgi Olafsson...
Ci-dessus, et au centre, Ragnar Helgi Olafsson avec son "accompagnatrice" durant le festival, Chantal Carlier (documentaliste retraitée aujourd'hui) et Johary Ravaloson,
écrivain en résidence à La Villa La Brugère en 2017, qui venait de recevoir le Prix Ivoire de la Littérature Francophone.
Après le temps des conversations animées et des toasts, le temps incontournable d'un auteur en visite: signer et dédicacer ses livres....
"Le 24, la veille de mon départ, je flânerai à l'heure du crépuscule le long du port,
pour me rendre à l’extraordinaire bibliothèque Alexis de Tocqueville, rutilante et toute nouvelle (on m’a dit qu’elle a été inaugurée il y a seulement quelques mois)".
Au fil de l'eau, paisible flânerie, jusqu'à la bibliothèque Alexis de Tocqueville...
"A la bibliothèque Alexis de Tocqueville, au rez de chaussée, un large espace met à l'honneur les photos de David Templier.
(Il y a bien d'autres expos - photos ou non, dédiées à l'Islande ou non- durant ce festival - je ne vous livre que ce que j'ai pu voir!)"
"Puis vint l'heure du RV entre Jón Kalman Stefánsson,, son traducteur Eric Boury et les lecteurs...
Une médiatrice les accompagnait et présentait en particulier les deux derniers livres de Jón Kalman Stefánsson traduits en français: ".
TOUS les livres (traduits en français) de Jón Kalman Stefánsson sont en vente ce soir-là : une trilogie: Entre ciel et terre, La Tristesse des anges, Le Cœur de l'homme
puis, sous l'appellation quelque peu réductrice selon moi (!) de "chronique familiale": D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds et À la mesure de l'univers
quand Jón Kalman Stefánsson lit un extrait de son livre "A la mesure de l'univers", en islandais
D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds" puis A la mesure de l'univers, un diptyque qui amène une rupture de ton, de rythme, d'environnement galvanisante,
passionnante pour le lecteur, après la trilogie: Entre ciel et terre, La Tristesse des anges, Le Cœur de l’homme.
J'ai lu personnellement ce tryptique comme on écoute une symphonie:
le très physique, le quasi palpable au détour des mots devient expérience spirituelle,
où la nature et l'homme se confondent au fil d'une langue, comment dire... aussi épurée, âpre, que lyrique...
Au cours de la conversation publique qui se déroule entre la médiatrice et Jón Kalman Stefánsson, ce dernier se fait un malin plaisir, visiblement, de démolir quelques clichés à propos de l'islande.
Cette île miracluleuse où l'air serait si pur... Selon lui, sans doute le pays le plus pollueur du monde, qui évite un désastre écologique majeur parce qu'heureusement n'y vit qu'une poignée d'habitants (300.000 et quelques)...
Non sans humour, Jón Kalman nous parle de cette île à la marge du monde, que les Islandais ont tendance à vivre comme étant... le centre du monde!
A gauche, Eric Boury se fait un malin plaisir de traduire en français ce que Jón Kalman Stefánsson vient de résumer en quelques mots à propos de l'Islande:
" En matière de politique, en matière d'écologie, en matière de féminisme, surtout, SURTOUT, ne prenez JAMAIS exemple sur l'Islande. Nous sommes pires que tout!"
En effet, ... quand il est question des femmes, de la place qui leur est faite dans les livres de Jón Kalman Stefánsson... l'auteur (et l'homme) nous parle alors alors sans détour de la société islandaise qu'il vit comme formidablement "machiste"...
Il nous livre un exemple vécu: alors qu'il était un tout jeune homme, travaillant dans une usine de poissons, sans aucune expérience, entouré de femmes qui y bossaient (dur, très dur!) depuis des années,
le propriétaire passait chaque jour pour donner des consignes... Il s'adressait alors, uniquement, à ce "gamin" parmi les femmes, lui confiant la responsabilité de tout en son absence, car il était, néanmoins, le seul HOMME, et seul interlocuteur valable à ses yeux...
Jón Kalman admettra, (affirmera haut et clair même!), que si l'Islande prouve son incapacité en matière de politique, d'écologie, de féminisme, son seul point fort, indéniablement, passe par la culture et l'art...
L'exercice obligé au terme d'une rencontre littéraire...
Jón Kalman s'y est adonné longtemps, plein de gentillesse vis à vis de tous ses lecteurs, extraordinairement nombreux et fervents!...
(le 24 novembre 2017, déjà tard dans la soirée...)